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Extrait du livre de Samuel Fawer avec le titre « Der Mann im Hintergrund »

RESTRUTURATION D’OMEGA 1982-1988 (Episode 1/3)

Après avoir pris conscience du fait que le poste offert chez Siemens Suis­­­se SA ne correspondait pas à mes attentes, je me rappelais les pa­ro­­les de Peter Gross, qui était mon chef à l'Union de banques suisses, UBS, et qui m'avait dit la chose suivante lors de mon entretien de dé­part : « Si, pour une raison quelconque, le travail chez Siemens ne vous con­venait pas, contactez-moi, j’ai justement besoin chez OMEGA d’un homme comme vous, d'un Troubleshooter ». Gross était alors le pré­si­dent du conseil d'administration de la SSIH, et savait que j’avais com­men­cé par être technicien en horlogerie. Je l’ai donc appelé et, sans ré­flé­chir longuement, il m’offrit un job. Comme j’étais encore en période d’es­sai chez Siemens, je pouvais démissionner d’une semaine à l’autre. Trois semaines plus tard, le 2 janvier 1982, je commençais dans mon nou­­vel em­ploi chez OMEGA.

A cette époque, l’industrie horlogère suisse traversait l'une des plus gros­­­­­­ses crises depuis 1974. En l’espace de 30 mois, les chiffres d’af­fai­res avaient diminué de 9.8% et les volumes de 37%. Les deux plus grands groupes horlogers, la SSIH (Société suisse pour l’industrie hor­lo­gè­re) et l’ASUAG (Allgemeine Schweizerische Uhrenindustrie AG), avaient enregistré d’énormes pertes, de l’ordre de plusieurs millions. Les deux grandes banques, l'UBS (Union de Banques Suisses) et la SBS (Société de Banque Suisse), se virent contrainte, afin de sauver les deux groupes de la faillite, d’in­ves­­tir plusieurs millions de francs. En 1981, c’est 300 millions de francs qui ont été investis dans le renflouement de la SSIH et, en 1983, 165 mil­lions supplémentaires. Les banques poussèrent à une fusion de l’ASUAG et de la SSIH, et exigèrent une restructuration totale. Elles man­­datèrent l’entreprise Hayek Engineering de Zurich d’effectuer une ex­­pertise qui devait servir de base à la fusion et à la restructuration.

OMEGA était alors considérée comme la maison fondatrice de la SSIH. C'était une manufacture avec tout juste 1200 employés, et une perte de 161,6 millions l’année précédente au niveau du groupe.

Ma première tâche en tant qu’assistant du directeur général de l’époque, Ul­rich Spycher, fut la mise en place d’un nouveau système informatique IBM 38 et de ses applications connexes. J’étais le responsable de projet pour la mise en œuvre d’un système de gestion et de planification de la pro­duction – le MAPICS (Manufacturing Accounting and Production In­for­­mation Control System) – et d’un système de gestion des clients et des fournisseurs. Le travail effectif consistait à former les utilisateurs des sys­­tèmes et de les familiariser avec les terminaux utilisés pour la pre­miè­re fois. Une fois de plus, le travail principal fut la saisie des données de base. En raison de mes précédentes expériences, ces tâches me conve­naient tout à fait.

En 1982, les deux nouvelles lignes de produits « Constellation Man­hat­tan » et « Seamaster Titan » ont été développées et lancées sur le mar­ché. Les caractéristiques de la « Constellation Manhattan » résidaient dans un cadran à la fois très technique et très esthétique, enserré par qua­tre griffes qui maintenaient le saphir de la glace sur le bord supérieur du boîtier pour renforcer ainsi sensiblement l’étanchéité de la pièce. La lar­­geur du bracelet métallique n’était pas identique sur toute sa longueur, mais toujours plus étroite depuis le boîtier jusqu’au fermoir. Je me sou­viens, comment un consultant externe a essayé de fabriquer un prototype de ce bracelet, et en est venu à la conclusion que cela était impossible. Mais la société LASCOR en Italie (je reviendrais sur cette société) réalisa ce bracelet sans difficultés. La « Seamaster Titan », également appelée « Po­laris », se composait d’un boîtier et d’un bracelet en titane avec des in­crustations d’or rose. Une absolue nouveauté dans l’industrie horlogère. Le titane est un métal très léger, très résistant à la corrosion, mais très dur à travailler. Les deux nouvelles lignes de produits furent une réussite totale car, 15 mois après leur mise sur le marché, elles réalisaient déjà 45 mil­lions de chiffre d’affaires. Surtout la « Constellation Manhattan », qui est en­core aujourd’hui un pilier de la collection OMEGA.

Je voudrais encore citer deux événements survenus au cours de la même an­née.  D'une part, l’ère de la famille fondatrice d’OMEGA – les Brandt – était arrivée à son terme en décembre 1981, et son dernier représentant, Charles Brandt, créa douze mois plus tard la « Fondation Adrien Brandt en faveur du patrimoine Ome­ga », qui donnera naissance au Musée Omega à la fin 1983.

D'autre part, la « Swatch » fut lancée ! A propos de « Swatch » : à ma con­­naissance et de ce que j’ai vécu, ce sont Ernst Thomke et ses col­la­bo­­rateurs de l’époque qui sont les vrais pères de la « Swatch ». La com­mer­cialisation et la distribution ont été conçues et mis en œuvre par la même équipe, avant que Nicolas Hayek n’entre en scène. Je suis éga­le­ment d’avis que le déclin de l’industrie horlogère suisse a pu être évité, dans une large mesure, grâce au succès de la « Swatch ».

Le 1er janvier 1983, parallèlement à ma nomination comme fondé de pou­voirs, m’a été confiée la direction de l'Ordonnancement. Mon pré­dé­ces­seur s’appelait alors Max Wyssbrod, et était le nouveau res­ponsable de la Lo­gistique et de la Production. OMEGA se trouvait tou­jours encore dans le rouge, et je pris conscience pour la première fois, en rai­son de ma fonc­tion, que les nombreuses lignes de produits, références de boîtiers, va­rian­tes de cadrans et de modèles, étaient l’un des maux de base des per­tes d’OMEGA. Malheureusement, à ce moment là, on créait tou­jours et en­core des nouvelles collections.

L’ASUAG et la SSIH étaient aussi toujours très enfoncées dans les chiffres rou­­ges (avec des pertes de 44,1 millions en 1981, puis de 156,5 millions en 1982 pour la première, et de nouvelles pertes de 82 millions en 1981, puis de 17,1 millions en 1982 pour la seconde). Lors de son assemblée générale du 29 juin 1983, l'ASUAG a fait l'objet d'un assainissement bancaire de 422 millions, et il a été décidé d’une qua­­si-fusion des deux groupes avec la mise en place dès juillet des trois grands secteurs : Produit terminé (les marques SSIH et GWC), Mou­ve­ments et composants (le groupe ETA), Produits industriels et di­ver­si­fi­ca­tion. Le 8 décembre 1983, la fusion formelle a finalement été réalisée. Avec des con­séquences significatives pour l’avenir d’OMEGA.

Au début de 1984, la restructuration complète d’OMEGA a été mise en œu­vre, ce qui signifiait la fin de la manufacture. A la mi-janvier, Ulrich Spy­cher quittait ses fonctions à la tête du secteur Produit terminé, où il était rem­placé par Ernst Thomke, qui avait été chargé d'effectuer la restruc­tu­ra­tion. Mais avant que je n’évoque et décrive ma participation à ce processus, je souhaiterais au préalable décrire un élément marquant de « l’ancienne » OMEGA.

La dernière ligne de produits dans le domaine « Haut de gamme », la col­lec­tion « Louis Brandt » fut développée et réalisée par Paul Peter (ancien di­recteur de GAMEO, agent général suisse d’OMEGA à Lausanne), à cet­te époque-là directeur général, et Fernando Fontana, patron de LASCOR en tant que créateur. Elle se composait essentiellement de pièces com­plex­es d’horlogerie mécanique, façonnées à la main, ciselées, habillées de boitiers en or et autres métaux précieux et en partie serties de diamants. Tou­tes ces montres étaient numérotées. Une collection fantastique. En même temps, à la demande d’OMEGA, l’horloger renommé Dominique Loi­seau développa et réalisa une montre de table incroyable, la plus com­pli­quée du monde, qui portait le nom de « La Rose des Temps ». Elle était do­tée de 32 fonctions, comme par exemple l'affichage de la position des étoi­les au-dessus de Berne, New York, Buenos Aires et Sydney. Son si­gne distinctif était la rose en or dont elle était couronnée, s'ouvrant et se fer­mant en une heure, tout en pivotant sur elle-même deux fois par jour et dé­couvrant un tourbillon volant en­tiè­re­ment asymétrique, le plus per­fectionné jamais construit. 

Côté collection « Standard », la ligne « Seamaster Dynamic » a été lan­cée: elle se composait de modèles sportifs avec des boîtiers dont la car­ru­re était animée par 12 griffes décoratives. Pour ma part, je ne trouvais pas cette ligne très « OMEGA-like » car, de mon point de vue, elle ne s’in­tégrait absolument pas dans la collection.

Du 20 au 24 mai 1984, dans le Kursaal de l’hôtel Viktoria Jungfrau d’In­ter­la­ken, s'est déroulé le Congrès mondial des agents généraux OMEGA. A cet­te occasion, les lignes de produits évoquées ci-dessus furent exposées dans les couloirs de l’hôtel. Les représentants eurent notamment la pos­si­bilité de commander directement la « Seamaster Dynamic ». A cette fin, j’avais installé un terminal IBM capable de gérer les commandes. Celles-ci affluèrent en quantité, et les deux directeurs Paul Peter et Pierre Robert (Fi­nances) exultèrent, et me dirent: « C’est comme ça qu’il faut faire! » A cela, je répondis que, pour moi, une montre n’est vendue que lorsqu’elle est au bras du consommateur, et que ce qui se passait-là ne représentait que la création d’un stock à l’échelon des importateurs et des détaillants. Il s’avéra plus tard que cette ligne de produits fut un flop!

Le 1er juin 1984, je succédais comme responsable des secteurs Tech­ni­que et Production à Max Wyssbrod, lequel quittait OMEGA. C'est alors qu'a commencé réellement la restructuration d’OMEGA sous l’égide de Thom­ke. A ce stade, je me dois aussi de mentionner que je connaissais déjà ce dernier depuis plusieurs années, et que nous étions amis, ce que nous sommes encore aujourd’hui. Les critères principaux de la res­truc­tu­ra­tion, comme déjà mentionné, étaient la fusion ASUAG/SSIH qui pré­voy­ait une concentration des ateliers de production et des composants au sein d’ETA, et signifiait ainsi la fin de la manufacture OMEGA, tout comme l’avè­nement massif des montres à quartz contrôlées électroniquement. Thom­ke misait tout sur la montre à quartz, la montre mécanique était pour lui secondaire, sans avenir. Pour OMEGA, concrètement, cela voulait dire la fermeture de la fabrique d’ébauches de la rue des Prés à Bienne, de la fa­brique de Cortébert, ainsi que des ateliers de Villeret et du Sentier. A cet­te époque, OMEGA employait environ 1200 collaborateurs. Et comme la majorité de la main-d’œuvre concernée par la restructuration m’était su­b­ordonnée, je dus effectuer les réductions de personnel découlant de cel­le-ci. Cela veut dire que des 1200 collaborateurs, 700 ont été licenciés, 300 transférés chez ETA, et 200 sont restés chez OMEGA. Il m’est pres­que impossible de décrire ce qui se cache comme destins et tragédies der­rière ces chiffres. En particulier, le licenciement des 700 salariés fut pour moi un fardeau presque insupportable. Sur place, je devais annoncer la mauvaise nouvelle presqu’à chaque collaborateur. Des hommes aguer­ris pleurèrent, d’autres jurèrent et m’insultèrent. J’ai bien sûr négocié avec les représentants du syndicat FTMH, et nous avons convenu d’un plan so­cial. La fermeture de toutes les fabriques et ateliers évoquées, et le li­cen­ciement des collaborateurs dura environ un an. Il va sans dire que la res­tructuration d’OMEGA a été largement commentée, et en partie éga­le­ment aussi critiquée, publiquement et dans les médias. Ainsi, OMEGA fut « ré­trogradée » du rang de manufacture à celui d'établisseur, puisque ses ébau­ches étaient désormais livrées par ETA. La direction opérationnelle d’OME­GA se composait à l’époque de Paul Peter comme directeur gé­né­ral, responsable des ventes et du marketing, Pierre Robert comme res­pon­sable de l’administration et des finances, et moi comme responsable de la logistique et du contrôle qualité des boîtiers, des cadrans, des bra­ce­lets et des produits finis, ainsi que de la coordination avec ETA. Le 1er jan­vier 1985, je fus nommé vice-directeur.


 *Ces textes n'engagent ni Omega, ni le Musée Omega, ni la SAMO, mais uniquement leur auteur qui en détient les droits de copie.

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