21 février 1974
Premier départ vers cet « univers » rempli d’inconnues et avec le doute de compétences pas encore mises à l’épreuve et avec un bagage professionnel tout neuf ... tout « vert » ... et démuni de cette carapace issue de l’expérience professionnelle.
Genève Airport, 11 h 15 - vol LO 219 pour Madrid à bord d’un Tupolev de la LOT. Sympa et humble cet équipage polonais mais dépourvu de moyens, ce qui se note si bien avec les uniformes trop ajustés, démodés, un peu usés parfois, un plateau repas très simple, mais contre un sourire, qu’est-ce que le côté matériel pourrait avoir comme importance !
Madrid Airport, 14 h 15 - vol VA 731 pour Caracas à bord d’un DC8 de la VIASA, le Venezuela se des- sine déjà dans l’esprit de sa compagnie nationale ! Très bon vol favorisé par un nombre très restreint de passagers, une trentaine de personnes dans ce «Long-courrier», l’équipage de bord est relax et l’attention est maximum. C’est plutôt long un vol de 9 heures mais en fait la notion de temps importe peu, tout bouillonne dans la tête, les « Adieux » en quittant le port d’attache vont se mélanger avec la « Bienvenida » de l’Amérique Latine !
Caracas Airport, 18 h 30 ... qui se trouve en fait à Maiquetia sur le littoral de la mer des Caraïbes à une cinquantaine de km de Caracas.
Quelle transition de climat après les frimas de février en Suisse, une chaleur étouffante crée l’ambiance de cet aéroport explosant dans le domaine du tempérament sud-américain.
Un rêve ou un cauchemar, sentiment impossible à gérer avec la succession des événements ... queue à l’immigration ... totale confusion dans le retrait des bagages ... et la douane !! ... un peu comme si le ciel nous tombait sur la tête et heureusement cet « ange gardien » et cette force d’aller de l’avant qui conditionne le jeu de la réalité !!
Ouf ... !! quel plaisir de se retrouver libéré de ces chicanes administratives et en plus ... avec tous ses bagages en mains ... mais ?? ... où est ce contact annoncé à l’aéroport ?? .. pas de Giancarlo en vue à l’endroit convenu ?? .. et pour Giancarlo, ... pas de Suisse en vue à la sortie des passagers.. ??
A peine le temps d’un regard de droite et gauche et un nouvel afflux bruyant et .. métissé .. de passagers en provenance de Bogota, remet une goutte d’huile sur le feu de la confusion engendrée par les éclats des retrouvailles, les porteurs zigzaguant dans la foule et les chauffeurs de taxis illégaux cherchant à pigeonner les touristes les plus crédules .. !!
Et ces deux gars presque dos à dos scrutant tout ce qui bouge pour finalement croiser un regard .. et Giancarlo de lancer .... « par hasard ne seriez-vous pas » .. ?? ... « mais oui tout à fait » .. !!.
« mais j’attendais un Suisse et voilà que je découvre un .. Colombien » .. !!
« Oh vous savez, c’est effectivement l’hiver en Suisse mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a que des visages pâles chez nous ... mais cela dit ... c’est un plaisir de vous rencontrer ».. !!
Caracas se situe à une cinquantaine de kilomètres de Maiquetia et c’est une autopiste surchargée de trafic et de camions en provenance du port qui nous permet de rejoindre les plateaux de la « Serra » de la capitale située à 600 mètres d’altitude. En fonction des conditions du trafic et du volume des travaux en réalisation tout au long de l’année, la durée du trajet peut varier entre 40 minutes et 4 heures ... voir plus .. certains dimanches soir !!
De nuit, la « Serra » s’illumine comme un sapin de Noël du plus bel effet, mais en fait l’image du sapin cache les réalités de la pauvreté voire même de la misère, de ces quartiers « Bidons-ville » rejetés dans les zones extérieures par l’expansion tentaculaire de la grande cité vénézuélienne.
Caracas est l’image « film » de la grande ville sud-américaine, avec le tout azimut en matière d’architecture où les plus modestes résidences ou constructions coloniales perpétuent leur identité d’origine, mais s’effacent peu à peu devant le gigantisme des édifices de l’ère moderne à l’origine de l’essor urbain élevant ses bras vers les étoiles, avec ses tours de 30 ou 40 étages.
La traversée de la capitale au rythme effréné d’un trafic un peu fou, lancé sur les pistes de transit, avec comme seul repère les panneaux de direction lumineux ... Chaquaito .. Providencia .. Petare .. à chacun sa destination .. son choix .. sa vie !!
Finalement l’Hôtel Crillon, une tour de 20 étages .. mais avec en sous-sol un restaurant .. « Le Chalet Suisse » !! .. comme en Valais .. et pourtant, à 2 pas en lieu et place d’un bisse ... une autre piste de transit à 100 à l’heure .. l’« Avenida Libertador » !!
Quel drôle d’effet de se sentir « parachuté » dans une monde inconnu avec comme point de repère l’environnement de la chambre d’hôtel, très confortable comme une petite suite, avec frigo, ambiance musicale, TV ..., toute une découverte pour un gars n’ayant jamais connu ce genre de confort individuel !!
22 février 1974... face à la réalité ...
Au réveil .. le rideau s’ouvre .. tout est à faire il faut aller à la mine et entrer dans le monde de la réalité où seules les compétences et la crédibilité seront prises en considération.
Et il y a le problème de la langue, car du portugais à l’espagnol il y a le .. « portugnol » une pirouette qui finalement facilite bien les choses car, il paraît que le mélange des accents français et brésilien est plutôt sympathique.
Avec le premier taxi du matin cela ne se présente pas trop bien car avec la boîte postale comme adresse .. le chauffeur se demande si son taxi ressemble à une boîte aux lettres !!
Mais avec l’information « Gradilla a Sociedad – Edificio José Mendoza » tout semble clair car le taxi se met en route .. !!
En fait la Maison Salvador Cupello CA est installée dans une ruelle sans trafic et sans numéro de rue, située entre les rues « Gradilla » et « Sociedad » et .. dans l’Edifice José Mendoza .. encore fallait-il décoder cette adresse !!
Tout commence par une réunion dans le bureau du patron ... El Doctor Enrique Cupello ... 3ème patriarche d’une Dynastie très connue et respectée au Venezuela, où les premiers contacts avec la marque Omega remontent à 1901 !! .. avec Francesco Cupello, un émigré italien qui venait de fonder la « Joyería Cupello » à Maracaibo.
C’est à son fils, Salvador Cupello, que sera accordée une Concession Officielle en 1918 avant d’obtenir l’Agence officielle Omega 1938 pour les provinces de l’ouest du pays et c’est en 1950 que l’entreprise deviendra Agence Générale Omega pour le Venezuela, en ouvrant un Centre de Distribution à Caracas.
Au décès de son père en 1972, Enrique Cupello (el Doctor !!) devient donc le grand patron de la Maison Salvador Cupello CA, un homme de caractère, très patriarche et très respecté mais aussi accessible et aimé, dont chacun n’aurait jamais l’idée de s’adresser à lui-même ou de s’y référer sans utiliser la particule .. « El Doctor » .. !!
De ce premier entretien auquel participait également Giancarlo, le responsable technique des ateliers, il ressort que des solutions sont à trouver pour rationaliser le travail, justifier ou pas le nombre de personnes engagées et en d’autres termes réduire les coûts opérationnels du secteur technique des réparations.
Plutôt conséquente et sans forme de transparence évidente l’opération comporte un service de réception et administration des montres, un secteur fournitures et 2 ateliers, l’un pour les marques Omega - Tissot – Nivada et l’autre pour les produits très bon marché et Roskopf commercialisés sous la marque propre « Soligar ».
Un travail à long terme est donc engagé, en collaboration avec les personnes directement impliquées dans les différents domaines.
Avec comme thème principal ... «A la Recherche du Temps Perdu » .. il s’agit de mettre en évidence tous les points susceptibles de gagner du temps, de rationaliser les prestations en regard des types de produits traités, de renforcer l’aspect formation à chaque place de travail et de motiver le personnel vers une image de qualité d’entreprise ... tout cela sans casser le rythme du travail, car le volume des montres à traiter est bien réel et derrière chaque montre il y a un client qui attend !!
... le temps s’écoule ... rien n’est facile mais ... la machine est en route. !!
09 mars 1974
Caracas Airport, 15 h 00 - vol VA 796 pour Curaçao.
Le programme de travail à Caracas est pris en charge par les responsables locaux car un séminaire technique est programmé à Curaçao.
Curaçao Airport, 15 h 40 ... après un vol au-dessus de la mer turquoise des Caraïbes à bord d’un DC8 de la VIASA, un paysage enivrant de soleil, une invitation à la vie sous haute luminosité !
A l’accueil, le responsable technique de l’Organisation Spritzer & Fuhrmann, Mr Broth, un gentleman de classe, très sympathique et cela d’autant plus qu’il est un pur spécimen local, par la couleur de sa peau , son sourire et du respect qu’il témoigne pour son travail, pour son patron et pour son entreprise.
Curaçao ce coin de terre « flottant » dans la mer des Caraïbes, avec ses 160 km de longueur et peut-être une bonne quinzaine en largeur, nous offre un climat très agréable, assez chaud mais pas du tout étouffant avec de véritables soirées estivales où il fait bon se promener, ou de rêver depuis les terrasses de l’hôtel Inter-Continental Curaçao en écoutant la mer des Caraïbes et en observant le mouvement des bateaux sur un fond d’air de Rumba, la musique locale vraiment faite pour l’ambiance du pays.
La population de l’île, 150 000 habitants est en partie concentrée à Willemstad, la principale localité avec ses 80 000 habitants. C’est une très jolie bourgade aux maisons colorées bien conservées, une propreté remarquable et une éducation des gens qui fait plaisir à voir !
Pas de mendiants, pas d’abus de prix dans les commerces et surtout .. pas de racisme, une qualité de vie qui plait vraiment.
Les Antilles hollandaises sont indépendantes depuis 1954 mais le trait d’union avec la « Mère Patrie » est encore total. Pour cela la plupart des habitants s’expriment en 4 langues, le hollandais la langue nationale, le Papamiento la langue native, l’anglais vu l’afflux des touristes en majorité anglophones, et l’espagnol vu qu’il s’agit d’un pays latin et très proche de la côte vénézuélienne.
C’est aussi un « Port Franc », ce qui explique l’intérêt des touristes, nord-américains et canadiens en majorité affluant par bateaux de croisières, dont l’intérêt se fixe sur les produits de l’horlogerie, de la bijouterie, de l’optique et des cristaux en particulier.
Ces produits sont bien sûr importés, mais bénéficient d’une offre sans concurrence par leur prix de vente hors taxes.
La plus grande industrie de l’île reste toutefois la gigantesque raffinerie de pétrole de la Shell, la quatrième au niveau mondial. La matière première y afflue par de nombreux pétroliers déchargeant le brut et repartant avec le produit raffiné.
Il faut dire que la côte du Venezuela est proche et qu’il s’agit là d’un important producteur de pétrole brut.
A cela il faut relever que le Venezuela ne connaît pas de problème de rationnement en essence. On fait le plein de la voiture (40 litres) pour moins de 5 francs !!
La Maison Spritzer & Fuhrmann représente la marque Omega depuis 1938 et plus tard en 1955, sous le dynamisme de Charles E. Fuhrmann, elle ouvrira un magasin pilote, appelé aussi Centre Omega, dans la rue la plus passante de Willemstad.
Durant toutes ces années où l’aspect « Duty Free » représentait une source d’intérêt importante dans le domaine des croisières, c’est en utilisant cette force commerciale que la Maison Spritzer & Fuhrmann a connu un essor fulgurant. Dans les années « 70 », l’organisation ne compte pas moins de 30 magasins et boutiques spécialisées dans les domaines de l’optique, de l’horlogerie, de la bijouterie, des porcelaines et cristaux ainsi que dans une large gamme d’articles de luxe et cela sur l’ensemble des Antilles hollandaises à savoir, Curaçao, Bonaire, Aruba et St Maarten.
Du 11 au 13 mars 1974, premier séminaire technique pour horlogers, avec un programme d’introduction sur les nouveaux produits électroniques permettant de mettre en place le « Diagnostic System » créé par les instances techniques Omega et SSIH .
Ce système harmonise le travail sur les nouvelles technologies de l’industrie horlogère, comme les montres à diapason dites « Sonic », ou la première version en montres à quartz Suisse, dénommée « BETA 21 » (calibre Omega 1300), dont il s’agit de présenter une procédure de travail en utilisant les nouveaux équipements créés à cet effet sous l’appellation, Deltatest et Alitest.
C’est un domaine totalement nouveau pour les horlogers, avec une terminologie spécifique, une approche du produit différente, en recherchant l’origine d’une panne avant de démonter le mouvement.
Et puis il y a les cliquets ... ah !! ces fameux cliquets qu’il faut ajuster avec le seul support d’un microscope .. quel calvaire ne serait-ce que pour arriver à y voir quelque chose !! et ils sont tellement importants ces cliquets, dans le contexte de la marche correcte de la montre !!
Tout s’est très bien déroulé grâce à la collaboration et à l’intérêt apportés par ce groupe de 6 horlogers de l’Organisation Spritzer & Fuhrmann de Curação, Aruba et St Maarten et au support offert par les responsables de Curação mettant à notre disposition une salle bien équipée pour le travail technique et le support didactique et en plus .. un bar permanent tenu par une jolie créole .. en mini-jupe blanche .. pour nous servir café et boissons fraîches, tout au long de ces journées de cours !!
17 mars 1974
Curação Airport ... 19 h 30 ... Vol LV 253 AVENSA pour Caracas
Moins de 45 minutes de vol, cela ne vaut pas la peine de prendre ses aises !!
Caracas Airport ... 20 h 15 ... il semble que tout est plus facile concernant les formalités .. c’est peut-être un brin de fatalisme qui entre dans le sang .. et en plus une heureuse surprise ... deux collègues de la Maison Cupello signalent leur présence dans l’aire d’arrivée ... une belle preuve de l’hospitalité latine !!
Pour cette 2ème phase du séjour au Venezuela, le point de chute sera l’Hôtel Avila, situé sur les hauteurs avoisinant le centre de Caracas, mais dans le calme et la sérénité d’une oasis de verdure. Avec son aspect un peu « vieillot », cet hôtel perpétue le plus pur style colonial tant par son architecture que par son aménagement ... on se croirait au début du 20ème siècle !!
... et les jours suivants ...
Il règne une grande fébrilité dans cet hôtel, car un combat de boxe pour le titre mondial « Toutes Catégories » se déroulera le 26 mars à Caracas et justement le tenant du titre, le fameux Georges Formann, a pris ses quartiers à l’Hôtel Avila !
Malgré sa renommée et son impressionnante carrure, en long, en large et en travers ... c’est une personnalité absolument sympathique, parlant et plaisantant avec tout le monde et passant d’une table à l’autre lors du petit déjeuner, juste avant de s’envoyer une véritable moisson de calories, en matière de steaks, œufs et tout ce qui peut s’inventer à ce stade de la journée !
Le champion est aussi entouré d’une impressionnante suite, d’entraîneurs, partners, sponsors, managers et parmi ceux-ci, deux anciens grands champions aux noms prestigieux dans le domaine de la boxe, Archie Moore et Sonny Liston, eux aussi très ouverts et accessibles.
En observant Archie Moore jouer au « ping-pong » on pouvait se dire qu’il devait sûrement être meilleur à la boxe car il ne faisait pas grand mal à la balle !
Pour la suite des activités professionnelles, ce n’est pas simple car le volume des montres à traiter est très conséquent, particulièrement en ce qui concerne les produits de bas de gamme. Les structures du service sont trop lourdes et le coût opérationnel d’une réparation peut facilement revenir plus cher que la montre neuve !
Il s’agit donc de concevoir une organisation de service adaptée aux circonstances et aux besoins réels du marché, de perpétuer et de renforcer les forces disponibles pour ne pas pénaliser le rythme du travail ayant une incidence sur la production.
Aussitôt qu’il est convaincu, Giancarlo devient alors un « fer de lance » dans l’avancement des idées et présente au « Doctor » un projet de refonte de l’implantation des ateliers en utilisant des locaux disponibles au 5ème étage de l’édifice.
Bien que ce ne soit pas facile de toucher aux « deniers du patriarche », l’idée séduit en apportant une certaine cohérence, équivalent à un feu vert pour mettre le projet en route mais toutefois sous l’œil vigilant du « Doctor » pour un sérieux contrôle des coûts !
26 mars 1974
Caracas Airport, 09 h 00 - vol VA 840 pour Mexico City.
Mexico City Airport, 12 h 15 ... impressionnante cette arrivée au-dessus de la plus grande cité de l’Amérique Latine - plus de 20 millions d’âmes - le DC10 de la VIASA survole un tapis sans fin de maisons et toitures serrées les unes contre les autres, il y a relativement peu de grands édifices vu les situations géographique et géologique propices aux tremblements de terre.
On peut aussi voir deux grandes avenues traçant une grande croix sur ce parterre, la «Reforma» et «los Insurgentes», cette dernière atteignant les 42 km ! Toutes ces découvertes chahutées par les à-coups de l’avion soumis aux impondérables des conditions atmosphériques particulières dans cette zone, peu avant l’atterrissage.
L’Hôtel Bristol est situé dans la « Zona Rosa », un quartier agréable accessible facilement par l’avenida de la Reforma, une zone hôtelière de bonne facture appréciée par ses commerces d’articles régionaux et par le choix de ses petits restaurants.
Sous un autre aspect, le Bristol se trouve proche de la Maison Holzer ce qui évite les contraintes de taxis ou de transports publics.
C’est en 1946 que l’Agence Générale Omega a été reprise par la Maison Holzer y Cia SA et en 1960, elle s’installe dans le tout nouveau nommé « Edificio Omega », construit sur le « Paseo de la Reforma » considéré comme les Champs-Élysées de l’Amérique.
Le contact avec Monsieur Joseph Holzer est formel, cordial mais distant, ce n’est pas la personne qui donne sa confiance à quelqu’un sans l’avoir mis à contribution !
Lire la suite : Trajectoires - Episode 2: le Mexique et le Brésil
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